F. B. : Tu as toujours eu une mémoire d’éléphant, tu n’as jamais rien oublié et ça ne doit pas être facile...
R. G. : On écrit des livres.

Romain Gary, La nuit sera calme

Arriverai-je à me souvenir de chacune des chambres où j’ai séjourné ? Curieusement, il me semble que oui. Et j’ai un souvenir aussi précis de certaine chambre où je n’ai passé que quelques heures que de certaine autre où j’ai vécu mille et une nuits. Et par quelle chambre commencer ? Une chambre de l’enfance ? Une chambre de joie ou une chambre de tristesse ? Une chambre d’amour ou une chambre de solitude ? Et cela importe-t-il ? Peut-on ordonner (à) la mémoire comme s’il s’agissait d’un jeu de cartes dont on devrait sérier les enseignes et les figures ?

chambre_03

Entre le lit et le fleuve – la mer, dit-on là-bas – il y a vingt pas, vingt-cinq peut-être quand la nuit nous rend moins hardis. De l’intérieur, porte ouverte, on entend sa pulsation longue. On est là seule, loin de chez soi loin de soi, accompagnée seulement par les reflets d’un œil bleu posé sur soi comme une vague de jeunesse au moment de l’adieu. La mort est un fleuve aux marées lentes.