F. B. : Tu as toujours eu une mémoire d’éléphant, tu n’as jamais rien oublié et ça ne doit pas être facile...
R. G. : On écrit des livres.

Romain Gary, La nuit sera calme

Arriverai-je à me souvenir de chacune des chambres où j’ai séjourné ? Curieusement, il me semble que oui. Et j’ai un souvenir aussi précis de certaine chambre où je n’ai passé que quelques heures que de certaine autre où j’ai vécu mille et une nuits. Et par quelle chambre commencer ? Une chambre de l’enfance ? Une chambre de joie ou une chambre de tristesse ? Une chambre d’amour ou une chambre de solitude ? Et cela importe-t-il ? Peut-on ordonner (à) la mémoire comme s’il s’agissait d’un jeu de cartes dont on devrait sérier les enseignes et les figures ?

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Nous avions l’âge de dormir presque à même le sol, l’âge de n’avoir pas de rideaux aux fenêtres et de couvrir les murs d’affiches. La première nuit – notre première nuit de ce qui devait durer – nous avons dû choisir de quel côté du lit chacun poserait ses désirs et ses peurs. Nous avions l’âge de n’avoir pas d’habitudes et je sais que je pleurai un peu. Nous ne ferions l’amour qu’au matin. Plus rien ne pressait désormais, si ce n’est de nous apprendre.