J’ai toujours le sentiment que les histoires sont là, en dehors de nous et que l’écrit, c’est simplement ce passage d’une histoire par soi.
Marguerite Duras
En juillet 2014, j’ai trouvé sur une brocante un négatif sur verre datant sans doute du début du siècle dernier. En fait, il y avait une cinquantaine de plaques, des paysages pour la plupart. Quelques portraits aussi. L’objet me séduisait. Je les ai regardées, tentant de deviner dans l’image inversée la personne ainsi figée, au-delà du temps. J’en ai choisi une. La plaque portait des marques d’humidité qui dessinaient des presque fleurs à la surface de la prairie, aux pieds de la jeune femme photographiée. J’ai donc acheté ce négatif, tout autant pour l’image elle-même que pour l’aspect de la plaque de verre et son irisation. Rentrée chez moi, j’ai numérisé le négatif et en ai tiré l’image en positif. La personne, là, se révélait, attendant qu’on écrive son histoire. J’ai donc commencé à écrire l’histoire de celle qui deviendrait Barbara, mon premier personnage. C’est comme si on lui offrait l’immortalité, m’a dit mon fils. Oui, précisément, ai-je pensé. Cette jeune femme dont on ne sait rien aujourd’hui trouvera dans la fiction une imprévisible immortalité. Dès lors, l’idée de faire une série de portraits imaginés à partir d’images d’inconnus oubliés s’imposait. Dans mes archives personnelles, j’ai cherché des personnes que je ne pouvais pas identifier, j’en ai trouvé quelques-unes. J’ai continué aussi à dénicher sur les brocantes des négatifs ou des photos anciennes, guidée toujours par le projet d’une histoire à écrire. L’image, ce qu’elle représentait, devait me parler, m’amener très vite à imaginer un prénom, un destin, un amour. Et j’ai écrit, au fil de mes trouvailles, ces immortalités.
rose
Elle a huit ans. Depuis longtemps, elle a huit ans. Elle a dans le regard la pointe de défi ou de naïveté que l’on a à cet âge. On ne sait pas, mais disons que les disparitions, les trahisons, les doutes ne l’ont pas brisée. Elle portait en elle ce qu’il faut de révolte pour refuser l’alliance et ce qu’il faut d’humour pour ne pas s’abimer dans le déni des regrets.
Peut-être est-elle née au mauvais siècle, trop tôt pour le désir et pour la liberté. Trop tôt pour la conscience. Trop tôt pour la parole, pour l’art et pour la danse. Du haut de ses huit ans, elle s’est réfugiée dans la fausse rigueur des corps contrariés. On ne sait pas ce qu’il reste en ses veines des appétits enfouis qui la feraient encore, presque, sourire.