J’ai toujours le sentiment que les histoires sont là, en dehors de nous et que l’écrit, c’est simplement ce passage d’une histoire par soi.
Marguerite Duras
En juillet 2014, j’ai trouvé sur une brocante un négatif sur verre datant sans doute du début du siècle dernier. En fait, il y avait une cinquantaine de plaques, des paysages pour la plupart. Quelques portraits aussi. L’objet me séduisait. Je les ai regardées, tentant de deviner dans l’image inversée la personne ainsi figée, au-delà du temps. J’en ai choisi une. La plaque portait des marques d’humidité qui dessinaient des presque fleurs à la surface de la prairie, aux pieds de la jeune femme photographiée. J’ai donc acheté ce négatif, tout autant pour l’image elle-même que pour l’aspect de la plaque de verre et son irisation. Rentrée chez moi, j’ai numérisé le négatif et en ai tiré l’image en positif. La personne, là, se révélait, attendant qu’on écrive son histoire. J’ai donc commencé à écrire l’histoire de celle qui deviendrait Barbara, mon premier personnage. C’est comme si on lui offrait l’immortalité, m’a dit mon fils. Oui, précisément, ai-je pensé. Cette jeune femme dont on ne sait rien aujourd’hui trouvera dans la fiction une imprévisible immortalité. Dès lors, l’idée de faire une série de portraits imaginés à partir d’images d’inconnus oubliés s’imposait. Dans mes archives personnelles, j’ai cherché des personnes que je ne pouvais pas identifier, j’en ai trouvé quelques-unes. J’ai continué aussi à dénicher sur les brocantes des négatifs ou des photos anciennes, guidée toujours par le projet d’une histoire à écrire. L’image, ce qu’elle représentait, devait me parler, m’amener très vite à imaginer un prénom, un destin, un amour. Et j’ai écrit, au fil de mes trouvailles, ces immortalités.
rodolphe
À quel combat perdu d’avance s’apprête-t-il ? Et quel point fixe-t-il derrière l’objectif ? Qui imagine-t-il ? On ne sait pas si quelqu’une ou quelqu’un le regarde comme il veut être vu. Peut-être rêve-t-il de remonter le temps jusqu’avant la naissance de cela qu’il doit bien appeler un amour. Cela qui lui impose une élégance frêle. Cela qui l’a vaincu.
On ne sait pas s’il fut, en un passé si proche qu’il projette toujours son ombre sur l’image, le mari ou l’amant de celle qu’il aima. L’amant, disons l’amant : il en a la beauté, il en a l’âge et le prénom. Il se soumet au code des plaisirs défendus et des désespérances. Il sait l’oubli glacial* et il sait que la lame ne le sauvera pas.
Il occupe l’espace comme s’il s’agissait d’une page où écrire un poème parfait ou tracer les contours du triangle qui l’enferme dans la vanité des serments et des drames. On ne sait pas quelle gloire il espère ni quelle rédemption.
* En l’oubli glacial de votre éternité (Darzens, Rodolphe, Vers l’oubli, in Anthologie des poètes français du XIXe siècle, Alphonse Lemerre, éditeur, 1888)